Siss et
Unn. Unn et Siss. L'une, timide et mystérieuse, vient d'arriver dans
le village. L'autre, populaire, y a toujours vécu. Elles semblent
opposées, mais elles sont irrésistiblement attirées l'une par
l'autre, fascinées. Elles savent qu'elles deviendront de grandes
amies, et puisqu'il faut bien commencer quelque part, Unn décide
d'inviter Siss chez elle après l'école.
Quelle
étrange soirée... Les deux fillettes ont envie de tout connaître
l'une de l'autre, mais elles essaient de ne pas se précipiter.
Conversation gênée, pleine d'hésitation, à la limite de l'absurde
parfois... Et tout à coup, toutes deux face à un miroir, une
impression foudroyante, une révélation qu'elles se hâtent de
refouler.
« Elles
s'égarèrent dans ce qu'elles virent avant d'en avoir ne serait-ce
qu'une idée. Deux paires d'yeux striées d'éclairs et de lueurs
sous les cils. Le miroir qui en est empli. Des questions qui fusent
puis se dissimulent l'instant d'après. Je ne sais pas : des éclairs
et des lueurs ; des lueurs de toi à moi, de moi à toi, de moi à
toi seule »
Le
comportement d'Unn est tout à fait déstabilisant. Elle ne peut déjà
plus se passer de Siss, mais elle refuse en même temps de tout lui
confier et de lui révéler « l'autre chose ». Le lecteur
ressent un malaise irrépressible en assistant à cette entrevue
intime, malaise contagieux puisque Siss écourte la soirée afin de
rentrer chez elle en courant. .
Le
lendemain, Unn refuse d'affronter le regard de Siss. Elle part faire
l'école buissonnière près du lac gelé où la classe doit faire
prochainement une sortie. Là, une cascade grondante, une forêt de
glace et un palais enchanté aux airs de labyrinthe. Unn parcours la
palais de glace sans peur alors qu'il joue avec elle, la menant où
il veut jusqu'à ce qu'elle se trouve face à un gigantesque œil
emprisonné dans la glace. Une lumière hallucinante, une perte de
repères, et le sommeil.
A l'école,
Siss s'inquiète de son absence. Elle fait un détour par chez elle
avant de rentrer et fait une alarmante constatation : Unn a disparu.
Siss est la
dernière à lui avoir parlé, et tandis qu'elle cherche à tout prix
à retrouver son amie, une seule question obnubile le village :
« Siss,
qu'est-ce que tu sais sur Unn ? »
Les
recherches commencent, jusqu'au lac gelé qu'on essaye de pénétrer
tout en ne se laissant pas ensorceler par la monumentale sculpture de
glace qui avait englouti Unn. Les jours passent et la fillette
demeure introuvable. Seule Siss semble encore attendre Unn quand les
autres l'oublient peu à peu. La disparue ne vit plus que par une
promesse faite de Siss à Unn, un serment qu'elle refuse de briser
jusqu'à ce que le palais de glace révèle ses secrets.
Vesaas est
grand auteur norvégien surnommé « le magicien de
l'indicible » et ce n'est pas moi qui remettrais en doute ce
pseudonyme ! Dans ce roman envoutant, on doute constamment sur ce
qu'on pense comprendre. L'atmosphère est froide, glaciale même,
mais on sent une chaleur émanant des deux petites filles au centre
du roman. Siss et Unn, seuls personnages dotés d'un nom, sont la
clé. On le sait, mais on ne sait pas quelle porte elle ouvre...
Au début,
j'étais très perplexe, frustrée de ne pas comprendre ce qu'il se
passait, sentir qu'il y avait quelque chose que je n'arrivais pas à
interpréter. Puis j'ai décidé de ne rien interpréter du tout et
de me laisser porter par le récit, (presque) sans me poser de
questions, et cela m'a plu. Ce roman restera vraiment un mystère,
mais je pense que le palais de glace est parvenu à m'hypnotiser moi
aussi, et cela me suffit ! La poésie et le mystère qui émane de ce livre font de lui
un roman comme on en voit rarement !
ET POUR
CEUX QUI L'ONT LU
/!\
Spoilers /!\
Le plus
frustrant dans ce roman n'a finalement pas été de ne pas comprendre totalement ce qui se passait. Unn existe-t-elle vraiment ? S'est-elle
fondue dans la glace avant de disparaître avec elle ? Le pire sont
les questions posées entre les deux petites filles au début et qui
sont laissées sans réponse comme si elles n'avaientt jamais existées.
Quelle est cette « autre chose » si mystérieuse qu'Unn
ne pouvait pas révéler ? Et quel est le lien entre Siss et Unn,
dont les reflets se confondent dans le miroir ? Je l'ai fini il y a
deux semaines et cela me turlupine encore !
Mais j'ai
vraiment aimé l'ambiance particulière de ce roman, l'impression
d'une présence manquante d'Unn tout au long du récit. On attend
simplement que le palais la recrache pour la rendre à Siss. Mais on
ressent un vrai manque quand la glace se met à fondre et que le lac
se fissure. J'oserai dire que notre cœur se craquelle avec lui tant
on a, pour la première fois, peur de ne jamais la revoir. Et c'est
assez paradoxal dans mon cas parce que je n'apprécie pas vraiment le
personnage d'Unn ( Je crois que son étrange et incompréhensible
comportement du début me l'a rendu antipathique...).
Le face-à-face d'Unn avec l’œil m'a immédiatement fait pensé au poème La conscience de Victor Hugo : " l’œil était dans la tombe et regardait Caïn", mais je n'ai aucune explication à fournir ahah ! J'ai trouvé
très touchant l'échange entre Siss et la tante d'Unn, où cette
dernière tente de la libérer de sa promesse. Lorsque ses camarades
mènent Siss jusqu'au palais de glace, la dernière visite aux
allures de pèlerinage, « sa » promenade où elle a envie
de disparaître elle aussi, le groupe d'enfants prend vraiment des
airs de cortège funéraire. Et enfin, une hésitation jusqu'à la
fin, jusqu'à la dernière ligne : va-t-on revoir Unn ? Non, mais
n'en ressort aucune déception.
Tarjei
Vesaas / Le Palais de glace / paru aux éditions Flammarion en 1975
et réédité chez Babel en 2016 / 219 pages
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