samedi 9 avril 2016

Le Palais de glace – Tarjei Vesaas



Siss et Unn. Unn et Siss. L'une, timide et mystérieuse, vient d'arriver dans le village. L'autre, populaire, y a toujours vécu. Elles semblent opposées, mais elles sont irrésistiblement attirées l'une par l'autre, fascinées. Elles savent qu'elles deviendront de grandes amies, et puisqu'il faut bien commencer quelque part, Unn décide d'inviter Siss chez elle après l'école.
Quelle étrange soirée... Les deux fillettes ont envie de tout connaître l'une de l'autre, mais elles essaient de ne pas se précipiter. Conversation gênée, pleine d'hésitation, à la limite de l'absurde parfois... Et tout à coup, toutes deux face à un miroir, une impression foudroyante, une révélation qu'elles se hâtent de refouler.

« Elles s'égarèrent dans ce qu'elles virent avant d'en avoir ne serait-ce qu'une idée. Deux paires d'yeux striées d'éclairs et de lueurs sous les cils. Le miroir qui en est empli. Des questions qui fusent puis se dissimulent l'instant d'après. Je ne sais pas : des éclairs et des lueurs ; des lueurs de toi à moi, de moi à toi, de moi à toi seule »

Le comportement d'Unn est tout à fait déstabilisant. Elle ne peut déjà plus se passer de Siss, mais elle refuse en même temps de tout lui confier et de lui révéler « l'autre chose ». Le lecteur ressent un malaise irrépressible en assistant à cette entrevue intime, malaise contagieux puisque Siss écourte la soirée afin de rentrer chez elle en courant. .
Le lendemain, Unn refuse d'affronter le regard de Siss. Elle part faire l'école buissonnière près du lac gelé où la classe doit faire prochainement une sortie. Là, une cascade grondante, une forêt de glace et un palais enchanté aux airs de labyrinthe. Unn parcours la palais de glace sans peur alors qu'il joue avec elle, la menant où il veut jusqu'à ce qu'elle se trouve face à un gigantesque œil emprisonné dans la glace. Une lumière hallucinante, une perte de repères, et le sommeil.
A l'école, Siss s'inquiète de son absence. Elle fait un détour par chez elle avant de rentrer et fait une alarmante constatation : Unn a disparu.
Siss est la dernière à lui avoir parlé, et tandis qu'elle cherche à tout prix à retrouver son amie, une seule question obnubile le village :

« Siss, qu'est-ce que tu sais sur Unn ? »

Les recherches commencent, jusqu'au lac gelé qu'on essaye de pénétrer tout en ne se laissant pas ensorceler par la monumentale sculpture de glace qui avait englouti Unn. Les jours passent et la fillette demeure introuvable. Seule Siss semble encore attendre Unn quand les autres l'oublient peu à peu. La disparue ne vit plus que par une promesse faite de Siss à Unn, un serment qu'elle refuse de briser jusqu'à ce que le palais de glace révèle ses secrets.


Vesaas est grand auteur norvégien surnommé « le magicien de l'indicible » et ce n'est pas moi qui remettrais en doute ce pseudonyme ! Dans ce roman envoutant, on doute constamment sur ce qu'on pense comprendre. L'atmosphère est froide, glaciale même, mais on sent une chaleur émanant des deux petites filles au centre du roman. Siss et Unn, seuls personnages dotés d'un nom, sont la clé. On le sait, mais on ne sait pas quelle porte elle ouvre...
Au début, j'étais très perplexe, frustrée de ne pas comprendre ce qu'il se passait, sentir qu'il y avait quelque chose que je n'arrivais pas à interpréter. Puis j'ai décidé de ne rien interpréter du tout et de me laisser porter par le récit, (presque) sans me poser de questions, et cela m'a plu. Ce roman restera vraiment un mystère, mais je pense que le palais de glace est parvenu à m'hypnotiser moi aussi, et cela me suffit ! La poésie et le mystère qui émane de ce livre font de lui un roman comme on en voit rarement !



ET POUR CEUX QUI L'ONT LU
/!\ Spoilers /!\


Le plus frustrant dans ce roman n'a finalement pas été de ne pas comprendre totalement ce qui se passait. Unn existe-t-elle vraiment ? S'est-elle fondue dans la glace avant de disparaître avec elle ? Le pire sont les questions posées entre les deux petites filles au début et qui sont laissées sans réponse comme si elles n'avaientt jamais existées. Quelle est cette « autre chose » si mystérieuse qu'Unn ne pouvait pas révéler ? Et quel est le lien entre Siss et Unn, dont les reflets se confondent dans le miroir ? Je l'ai fini il y a deux semaines et cela me turlupine encore !
Mais j'ai vraiment aimé l'ambiance particulière de ce roman, l'impression d'une présence manquante d'Unn tout au long du récit. On attend simplement que le palais la recrache pour la rendre à Siss. Mais on ressent un vrai manque quand la glace se met à fondre et que le lac se fissure. J'oserai dire que notre cœur se craquelle avec lui tant on a, pour la première fois, peur de ne jamais la revoir. Et c'est assez paradoxal dans mon cas parce que je n'apprécie pas vraiment le personnage d'Unn ( Je crois que son étrange et incompréhensible comportement du début me l'a rendu antipathique...).
Le face-à-face d'Unn avec l’œil m'a immédiatement fait pensé au poème La conscience de Victor Hugo : " l’œil était dans la tombe et regardait Caïn", mais je n'ai aucune explication à fournir ahah ! J'ai trouvé très touchant l'échange entre Siss et la tante d'Unn, où cette dernière tente de la libérer de sa promesse. Lorsque ses camarades mènent Siss jusqu'au palais de glace, la dernière visite aux allures de pèlerinage, « sa » promenade où elle a envie de disparaître elle aussi, le groupe d'enfants prend vraiment des airs de cortège funéraire. Et enfin, une hésitation jusqu'à la fin, jusqu'à la dernière ligne : va-t-on revoir Unn ? Non, mais n'en ressort aucune déception.



Tarjei Vesaas / Le Palais de glace / paru aux éditions Flammarion en 1975 et réédité chez Babel en 2016 / 219 pages

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